Amazon Web Services débarque en Suisse : ce que cela change, ou pas…
Amazon arrive en Suisse. Pas la boutique en ligne, mais sa filiale Amazon Web Services, leader mondial des services Cloud. Si son implantation helvétique n’est pas nouvelle – elle dispose de bureaux à Genève et Zürich depuis plusieurs années, elle y déploiera ses datacenters. Elle rapprochera ainsi ses services Cloud à la demande des entreprises locales. Pourquoi ? Avec quelles ambitions ? Eléments de réponse.
Le discours officiel d’AWS consistait jusqu’à maintenant à ne pas prévoir d’installation en Suisse. Le géant américain a donc surpris le monde IT en annonçant la création d’une nouvelle région pour le déploiement de ses services. Enfin, pas tout de suite… mais en 2022 ! Chose intéressante, cette communication sort des sentiers battus. Amazon avait en effet plutôt pour habitude d’annoncer la mise en ligne de ses nouvelles infrastructures le jour même où elles devenaient disponibles. Et en tout cas, jamais à l’avance.
Comment expliquer ce revirement dans la stratégie de communication ? Force est de constater qu’AWS a été pris de court par Microsoft. Les efforts récents de ce dernier pour rattraper son retard sur le marché du Cloud n’y sont probablement pas étrangers. Le déploiement de son offre en Suisse depuis le début de l’année l’illustre parfaitement. Microsoft fait en effet le forcing depuis maintenant plus de 2 ans pour asseoir sa position en Suisse, et sa croissance s’en ressent : elle est désormais plus rapide que celle d’AWS. Notamment dans le domaine des PME.
Les petites entreprises dans le viseur d’Amazon Web Services
C’est en effet ce secteur que vise aussi Amazon, avec des embauches à la clé sur Genève et Zürich, alors qu’il l’avait volontairement délaissé, préférant se focaliser sur des références plus prestigieuses. Oui mais voilà, la Suisse compte 95% de PME et TPE, et les grands noms sont désormais adressés. A l’opposé, Microsoft a toujours travaillé avec un écosystème de partenaires très large, relais efficace pour assurer sa croissance dans le monde des petites entreprises. Son omniprésence, notamment avec Office, n’y est pas pour rien non plus, et Microsoft 365 devient désormais un standard dans ces sociétés.
Face au rouleau compresseur Microsoft, Amazon est mis en difficulté sur son propre terrain
AWS se devait donc de réagir sous peine de se faire croquer. On peut aussi soupçonner le géant de la distribution de lorgner sur quelques secteurs lucratifs, comme la finance, la chimie, ou la biotech. Dans ces secteurs, les contrats à moyen terme ne sont pas rares. Se positionner très en avance est un signal fort qui leur est adressé : « Retardez le renouvellement de vos contrats, car nous arrivons en force. Vous pourrez faire jouer la concurrence pour votre infrastructure Cloud en Suisse si vous êtes patients ». Ici, AWS joue clairement une partition qu’elle connaît mieux, position de leader oblige.
Quelles conséquences pour les PME suisses ?
Pour les petites entreprises, ce mouvement va relancer la concurrence sur le marché des infrastructures informatiques (serveurs, stockage, bases de données). Par sur celui des services en ligne, car malheureusement Microsoft 365 n’a pas de concurrence digne de ce nom. Et ça n’est pas la part de marché de Google Docs ou Drive qui prouvera le contraire. Va-t-on assister à une guerre des prix ? C’est probable, Microsoft ayant anticipé le déploiement de ses propres services par une hausse de ses tarifs suisses en 2018 (entre 6% et 8%). Et Azure, l’offre d’infrastructure Cloud de Microsoft, conserve en Suisse encore des tarifs bien plus élevés que dans le reste de l’Europe, et que ceux d’AWS en général.
A titre d’exemple, le stockage objet de Microsoft est 2 à 4 fois plus cher que celui d’AWS
On peut aussi parier que le marché sera dynamisé. Les acteurs locaux, comme Exoscale (en mains autrichiennes depuis quelques temps, mais toujours établie à Lausanne) ou le dynamique Infomaniak vont probablement être piqués par cette arrivée. Ils devront renouveler d’effort pour conserver leur position. Et faire valoir leur différence pour continuer à attirer les clients. Car si cette différence s’amenuise avec une concurrence ancrée sur leur propre sol, ils pourront toujours agiter le spectre des GAFAM et leur omniprésence pour se démarquer.
Du point de vue des clients, cette arrivée marque une étape importante, qui va accélérer encore plus l’adoption du Cloud dans les PME et TPE. Pour tout dire, cela ne va pas sans nous ravir. Car au-delà du raté initial d’Amazon Web Services pour adresser le marché PME suisse, on peut s’attendre à ce que certains produits adaptés à ces clients, comme les postes de travail virtuels AWS, déboulent finalement en territoire helvète. Et viennent concurrencer des produits Microsoft concurrents peu efficaces. La transformation du paysage informatique suisse est donc loin d’être finie, et cette annonce en constituera une étape majeure.
Emmanuel Dardaine